dimanche 28 novembre 2010

Prédictions

Juste avant les fêtes, même pendant, le sujet de conversation de prédilection des techniciens de cinéma est toujours le même. La job.
Même si tout le monde est épuisé raide à la fin de l’année, que tout le monde ne parle que de party, de cadeaux et de bouffe, chaque échange fini par cette petite phrase qui semble anodine mais qui englobe toute l’angoisse envahissante des pigistes : -« Pis, t’as-tu de quoi après les fêtes ? »

Comprendre ici : -« Pis, tu fais-tu parti des chanceux ? » ou encore, plus sournois, -« Pis, t’as-tu pensé à moi ? » ou bien plus large –« Pis, tu sais-tu c’est qui les chefs de départements ? Si toi tu peux pas me refiler de la job, je vais demander à quelqu’un d’autre. » ou le très cynique –« On sait ben, la question se pose pas, TOI tu travaille tout le temps … ».

L’art très pointu de ne rien dire, ne rien promettre et ne rien prendre pour acquis tant que l’on n’a pas apposé notre autographe sur un contrat en est un d’apprentissage long et douloureux. L’insécurité du lendemain est plus forte que tout. Trop de pigistes tombent dans le syndrome de « La laitière et le pot au lait ». Lafontaine étant mon ami, je vous invite à vous rafraichir la mémoire chez lui.

Par contre, les ouïe-dires, les potins, les suppositions, les calculs savants, les rumeurs et les qu’en-dira-t-on roulent à plein régime dans cette ère nébuleuse qu’est le début de l’hiver. 90% des productions se mettent en branle au printemps pour tourner l’été. Soyons francs, les films d’hiver c’est rarement vendeur, ça manque de filles en bikinis ! Et même si on a la mémoire courte due à notre manque de sous, rappelons-nous le gaillardement : Tourner l’hiver dehors c’est affreux !!! Et ce, pour tous les départements !

Reste que chaque personne espère la fidélité de son supérieur précédent, souhaite que les productions soient assez grosses pour engager le même nombre de gens que la dernière fois, s’attend à un appel ou deux, fait des remises en question profondes si elle n’a pas le coup de téléphone escompté, se met à être hyper assidue aux liste de disponibilité de ses deux Unions syndicales, devient un monstre de précision avec son budget soudainement amaigri et fait savoir par le biais de sa page Facebook combien elle est libre, disponible et capable de le faire chaque semaine ! On n’y échappe pas, personne.

Si vous croyez que les remaniements ministériels sont difficiles, imaginez l’embarras de chefs de départements aux prises avec l’odieuse tâche de se monter une équipe qui sera inébranlable, qui permettra à tout le groupe de travailler dans une atmosphère joyeuse et sans prises de becs, de respecter un peu l’ordre d’ancienneté et d’y injecter du sang neuf sans trop en subir les conséquences. Faire comprendre à certains que malgré toute l’affection qu’on leur porte, ils ne feront malheureusement pas partie des premiers choix mais qu’ils seront bons deuxièmes (ou troisièmes ou quarantième c’est selon), ne pas oublier comment se comportent certains éléments sous un stress invivable, ne pas se laisser attendrir par les gens un peu plus dans le besoin … faire de la job de ressources humaines sans en avoir les compétences. Dur dur …

La plupart des irritants viennent du fait que toutes ces personnes oeuvrant dans un milieu si clos et si sélectif, deviennent souvent des amis par la force des choses. Ce n’est donc plus Monsieur X dans un bureau beige qui t’apprend que ton poste est coupé ou que certaines personnes préfèreraient que tu n’y sois plus. C’est un ami porteur de mauvaise nouvelle. Beaucoup plus émotif comme moves.

Pendant ce temps, les spéculations vont bon train, on sort les boules de cristal dans les soupers, on se remémore les fois où on a fait de bons coups, on essaie de ne pas tomber dans la mémoire sélective de la mauvaise foi et on révise les fois où l’on a pas été à la hauteur ou carrément hystériques en espérant que les boss ne s’en souviennent pas. On jase là …

Mais il est clair que la condition de pigiste amène son lot d’inconfort, de doutes, d’inquiétudes et de bouleversements, le tout, vécu en concentré de Janvier à Avril pour la grande majorité.

Bon. On s’entends qu’après ces mois d’incertitudes qui nous rongent, on tombe dans les semaines de 90 heures qui vous brule les muscles et la patience, laissant derrière nous un vague souvenir de désagrément qui s’est déjà estompé comme une vieille ecchymose … jusqu’à l’hiver suivant.

5 commentaires:

tchendoh a dit…

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Djouly Del Haval a dit…

Que c,est bien dit tout ça!

2LayerCake a dit…

que de beaux mots véridique!!!

Karljessy

Missmckenzie a dit…

En janvier, je fêterai mon premier anniversaire de pigiste. J'ai eu la chance de commencer sur un film d'hiver puis 2010 s'est enchaîné sans trop de répit. Même les moments entre deux "gros films" étaient ponctués de petits projets ici et là.

Mon année 2010 n'est pas encore terminée (un film qui n'en finit plus de wraper !) et étrangement même si je fais partie de ceux qui n'ont encore rien pour 2011, je ne m'inquiète pas. J'envisage l'hiver en termes de popote, tricot, grandes marches, lecture, télé... Pas trop de sorties pour ne pas trop plomber le budget.

Et je me dis que si 2010 a été si occupée alors que je commence dans le domaine, je fais confiance à la suivante me disant qu'elle sera aussi chanceuse.

Paco a dit…

y'a toujours un prix... travailler 80 hrs par semaine à l'année serait atroce et travailler dans un environnement stable 49 semaines sur 52, c'est pas pour les pigistes... la liberté a un prix... bon courage!